Publié le 24 juin 2020 Mis à jour le 17 juillet 2020

Juin 2020 - Enseignante titulaire de FLE au CIEF et responsable du FNF (Français pour Non Francophones) au Centre de Langues, Claire Chrétien revient sur le sens de son métier pendant le confinement.

Je confine, tu confines, il/elle/on confine, nous confinons, vous confinez, ils/elles confinent
En France, le confinement a été décrété le 17 mars mais dans ma composante, la décision est tombée 4 jours auparavant. En effet le vendredi 13 mars 2020, nous avons été convoqués à une réunion d’urgence dans une salle curieusement surdimensionnée pour la vingtaine de titulaires que nous sommes : la directrice nous a annoncé, à une dizaine de mètres de distance, que nous basculions tous nos cours en distanciel et ce jusqu’à la fin du semestre. C’était la première fois que je voyais un masque FFP2. Des visages masqués, dans ma composante, nous avons l’habitude d’en voir, plutôt pendant les mois d’hiver, sur nos étudiants asiatiques soucieux de préserver leur entourage de leurs microbes. Je travaille pour le Centre International des Etudes Françaises, le CIEF. Je suis professeure de FLE. Et si nous avons devancé le protocole “étudiants confinés” c’est que nos étudiants, internationaux, avaient, pour une part, déjà quitté Lyon.
 

Des départs...

Les États-Uniens de mon groupe de Justice sociale ont réagi les premiers. Leur Président a annoncé le mercredi la fermeture des frontières, l’après-midi même, ils étaient tous dans l’avion, écourtant à regret leur séjour lyonnais et renonçant à l’expérience tant attendue, et à leurs yeux bien française, des manifestations que la promo précédente, vernie en la matière avec la réforme des retraites, leur avait tant vantée. Les Suédois de mon cours de civilisation sont également majoritairement rentrés à Göteborg, très déçus de ne pouvoir se faire leur propre idée de la vie en France. Le mardi suivant, l’annonce du confinement a eu, sur un certain nombre d’étudiants internationaux restants, l’effet d’un coup de feu dans une nuée d’oiseaux.
Comment assurer la continuité pédagogique dans cette situation ? L’enseignement à distance est précisément conçu pour ce genre de situations, me direz-vous. Je vous répondrai : principe vs principe de réalité d’un professeur de FLE. Aucun problème effectivement avec les Suédois dans le même fuseau horaire que nous. Pas très compliqué pour le groupe de Justice sociale, constitué à 100% par des étudiants de Georgetown à qui j’ai maintenu l’horaire du lundi 10h-11h45 ce qui correspondait à lundi 16h-17h45 pour moi. Mais lorsque dans un même groupe, les uns repartaient au Canada pendant que les autres s’envolaient pour Taïwan, cela relevait de la gageure. Il a donc fallu prévoir aussi des cours asynchrones.
 

Des doutes

Quand on est professeure de FLE, on a l’habitude d’intervenir bien au-delà de ses prérogatives sur le papier pour soutenir un étudiant dans des démarches administratives ou médicales, dans sa recherche de logement ou d’emploi. Nous nous appuyons sur le quotidien de nos étudiants, sur leurs émotions pour les aider à s’approprier le français qui va les aider à s’intégrer à Lyon. Le FLE n’est pas pour eux une simple matière universitaire mais une formation essentielle, étroitement liée à un projet de vie qui peut être très éloigné de l’image du séjour Erasmus dont Klapisch a si bien su exprimer la légèreté et en même temps l’empreinte indélébile qu’il laisse sur un individu.

Ce que j’aime dans mon métier, c’est avoir ce contact quotidien avec des êtres venus de tous les horizons, c’est travailler devant et avec une classe composée de peut-être 17 nationalités différentes. Alors non, moi non plus, je n’ai pas du tout aimé toutes ces heures passées à tester des outils de visioconférence, puis une fois le choix fait, tout ce temps passé devant mon écran. Pour moi non plus, ce n’était pas là le métier que j’avais choisi. Mais il y avait E. qui était retournée au Brésil et qui se levait à 3 heures pour suivre le cours en synchrone car Lyon, la France et le français lui manquaient. Et puis M. rentrée chez elle, en quarantaine dans son “chalet”, une institution en Finlande avons-nous appris, ou Y. à Taïwan, elle aussi en quatorzaine, seule dans une chambre d’hôtel et toutes nous expliquaient, semaine après semaine, à quel point les cours de FLE étaient un repère dans leur quotidien, un contact avec un extérieur-intérieur et avec ce pays qu’elles s’étaient choisi et dont elles étaient désormais privées. Alors je me suis dit qu’au-delà des modalités effectivement très différentes, c’était bien là le même métier. Et le cours de FLE s'est fait, en partie, la chronique du confinement aux quatre coins du monde.

Retour à l'essentiel

Nouveaux mots

Finalement, j’ai choisi de maintenir toutes mes heures de cours via un outil de visioconférence, plus ou moins aux mêmes horaires et sur la même durée. Parce que nous avions tous besoin de nous voir, de nous entendre, de gommer les distances. Et le cours de FLE s'est fait échange de nos ressentis, partage de nos lieux de confinement. Et ainsi nous avons voyagé et ainsi le cours de FLE s’est fait évasion et nous avons oublié l’écran. Alors peut-être avons-nous quelquefois dévié du programme, transformant le cours de Compréhension écrite en visio en une discussion sur le thème du prochain texte à étudier, reléguant l’écrit à un travail individuel sur la plateforme Moodle mais nous sommes ainsi revenus à l’essentiel : la langue comme réponse à un besoin impérieux de communiquer.  

La langue. Le mot. Avec le petit recul que j’ai aujourd’hui, je continue à m’étonner : jamais je n’aurais pu imaginer entendre un jour dans la bouche de tous mes étudiants, du niveau A2 au niveau C2, ce mot que moi-même je n’utilisais jusque-là que très rarement : confinement.