Juin 2020 - Enseignante titulaire de FLE au CIEF et responsable du FNF (Français pour Non Francophones) au Centre de Langues, Claire Chrétien revient sur le sens de son métier pendant le confinement.
Je confine, tu confines, il/elle/on confine, nous confinons, vous confinez, ils/elles confinent
Des départs...
Les États-Uniens de mon groupe de Justice sociale ont réagi les premiers. Leur Président a annoncé le mercredi la fermeture des frontières, l’après-midi même, ils étaient tous dans l’avion, écourtant à regret leur séjour lyonnais et renonçant à l’expérience tant attendue, et à leurs yeux bien française, des manifestations que la promo précédente, vernie en la matière avec la réforme des retraites, leur avait tant vantée. Les Suédois de mon cours de civilisation sont également majoritairement rentrés à Göteborg, très déçus de ne pouvoir se faire leur propre idée de la vie en France. Le mardi suivant, l’annonce du confinement a eu, sur un certain nombre d’étudiants internationaux restants, l’effet d’un coup de feu dans une nuée d’oiseaux.Comment assurer la continuité pédagogique dans cette situation ? L’enseignement à distance est précisément conçu pour ce genre de situations, me direz-vous. Je vous répondrai : principe vs principe de réalité d’un professeur de FLE. Aucun problème effectivement avec les Suédois dans le même fuseau horaire que nous. Pas très compliqué pour le groupe de Justice sociale, constitué à 100% par des étudiants de Georgetown à qui j’ai maintenu l’horaire du lundi 10h-11h45 ce qui correspondait à lundi 16h-17h45 pour moi. Mais lorsque dans un même groupe, les uns repartaient au Canada pendant que les autres s’envolaient pour Taïwan, cela relevait de la gageure. Il a donc fallu prévoir aussi des cours asynchrones.
Des doutes
Quand on est professeure de FLE, on a l’habitude d’intervenir bien au-delà de ses prérogatives sur le papier pour soutenir un étudiant dans des démarches administratives ou médicales, dans sa recherche de logement ou d’emploi. Nous nous appuyons sur le quotidien de nos étudiants, sur leurs émotions pour les aider à s’approprier le français qui va les aider à s’intégrer à Lyon. Le FLE n’est pas pour eux une simple matière universitaire mais une formation essentielle, étroitement liée à un projet de vie qui peut être très éloigné de l’image du séjour Erasmus dont Klapisch a si bien su exprimer la légèreté et en même temps l’empreinte indélébile qu’il laisse sur un individu.Ce que j’aime dans mon métier, c’est avoir ce contact quotidien avec des êtres venus de tous les horizons, c’est travailler devant et avec une classe composée de peut-être 17 nationalités différentes. Alors non, moi non plus, je n’ai pas du tout aimé toutes ces heures passées à tester des outils de visioconférence, puis une fois le choix fait, tout ce temps passé devant mon écran. Pour moi non plus, ce n’était pas là le métier que j’avais choisi. Mais il y avait E. qui était retournée au Brésil et qui se levait à 3 heures pour suivre le cours en synchrone car Lyon, la France et le français lui manquaient. Et puis M. rentrée chez elle, en quarantaine dans son “chalet”, une institution en Finlande avons-nous appris, ou Y. à Taïwan, elle aussi en quatorzaine, seule dans une chambre d’hôtel et toutes nous expliquaient, semaine après semaine, à quel point les cours de FLE étaient un repère dans leur quotidien, un contact avec un extérieur-intérieur et avec ce pays qu’elles s’étaient choisi et dont elles étaient désormais privées. Alors je me suis dit qu’au-delà des modalités effectivement très différentes, c’était bien là le même métier. Et le cours de FLE s'est fait, en partie, la chronique du confinement aux quatre coins du monde.
Retour à l'essentiel
La langue. Le mot. Avec le petit recul que j’ai aujourd’hui, je continue à m’étonner : jamais je n’aurais pu imaginer entendre un jour dans la bouche de tous mes étudiants, du niveau A2 au niveau C2, ce mot que moi-même je n’utilisais jusque-là que très rarement : confinement.